- Albert Cortellari -
 
 

 

Ci-dessous un article du Télégramme qui lui fut consacre :

1950. Cinq ans après la guerre le Brest nouveau sort de terre

"Combien j'ai fait construire d'appartements? Sûrement plus de 20.000. Je n'ai jamais compté". L'architecte Albert Cortellari fut l'un des grands acteurs de la reconstruction de Brest, ville martyre de la guerre. Aucune cité française n'avait autant souffert. 30 ans durant, avec beaucoup d'autres, cet architecte aura contribué à relever Brest de terre puis à accompagner le développement de la ville bien au delà de ses frontières historiques.

E t pourtant, il l'avoue sans peine, ce sont de discrètes ruines de guerre, abandonnées aux ronces, qui resteront l'œuvre de sa vie. Celles du manoir de Kéroual, à quelques kilomètres du centre-ville. C'est là que naquit Louise de Kéroual, bretonne au destin singulier qui devint maîtresse de Charles II, roi d'Angleterre. En relevant le manoir de ses ruines, Albert Cortellari ne savait pas encore que dans la lignée héréditaire de Louise de Kéroual figurait une descendante qui allait devenir célèbre: Ladi Di, princesse de Galles (1).
Cortellari. Avec un tel nom, pas de doute sur l'origine. L'architecte brestois figure dans la lignée des maçons et batisseurs d'origine italienne qui, en Bretagne comme ailleurs, ont singulièrement marqué le secteur de la construction.
Son grand-père était paveur de rues, dans le nord de l'Italie. Son père vint s'installer à Paimpol, comme artisan-maçon, avant de gagner Brest. Et le jeune Albert, dont le coup de crayon était déjà remarqué, ne rêvait que des Beaux-Arts. Alors il y alla, à Rennes. Pour découvrir que son père l'avait bien inscrit aux Beaux-Arts, mais en section architecture. Fini le rêve de devenir artiste-peintre. Il sera architecte, avec diplôme de l'école nationale obtenu fin 45. "Marié, deux enfants et pas un rond", le voilà revenu dans la ville de son enfance, quand il s'en allait voler des châtaignes dans le parc de Kéroual en rêvant de devenir un jour propriétaire de ce beau manoir. Il ne pouvait imaginer alors que les lieux allaient servir à la Komman-dantur pendant la guerre et seraient détruits pas un bombardier anglais.
Curieux clin d'œil de l'histoire: ce sont des Anglais qui, sans le savoir bien sûr, ont dévasté le berceau de l'aïeule de Lady Di.

Mathon et Piquemal

Quand il s'inscrit, en 46, à l'ordre des architectes, Albert Cortellari fait vite la connaissance de deux fortes personnalités qui vont marquer le Brest d'après-guerre.
D'abord Jean-Baptiste Mathon, architecte en chef des bâtiments publics, auréolé d'un titre envié: premier prix de Rome. C'est à lui que l'Etat renaissant a confié la tâche de redessiner la ville nouvelle. Et puis, il y a Maurice Piquemal, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. Caractère bien trempé et travailleur infatigable.
Le premier va concevoir les plans de la reconstruction. Le second sera chargé de l'exécution et notamment de tous les travaux de remblaiement et de voirie.
Entre ces deux personnages-clefs (aujourd'hui disparus), les architectes n'auront pas souvent leur mot à dire. Et encore moins le jeune Cortellari auquel Jean-Baptiste Mathon propose de devenir son chef d'agence. Avec, dans la foulée, la responsabilité de la rénovation de la cité de Kergo-nan (230 logements) qui tenait encore débout.
La carrière d'Albert Cortellari faillit pourtant s'arrêter brutalement: "Pour travailler, je m'étais installé dans une petite baraque. Mais le jour de l'explosion de l'Ocean-Liberty (28 juillet 47) elle a été soufflée. Un bloc d'acier est passé à 50 cm au-dessus de ma tête. J'avais du sang partout ".

Comme le pont d'un porte-avions

Alors que la population revient peu à peu s'installer à Brest où poussent les fameuses baraques de l'après-guerre, Mathon fait un premier choix qui marquera toute la topographie de la ville.
Il fait raser les ruines de la rive gauche, combler les dénivellations avec les déblais et donne ainsi, au cœur de la cité, le profil d'un pont de porte-avions. Nécessité faisant loi, l'architecte en chef ne fait pas dans la dentelle.
"Nous n'avions pas notre mot à dire, insiste Albert Cortellari. Mais je trouvais tout de même qu'on aurait pu conserver un peu du relief ancien et éviter de raser tout ce qui restait des remparts. Bien sûr, Brest n'était pas comme Saint-Malo, une cité historique, si l'on excepte les remparts. Mais les efforts qui ont été faits là-bas pour reconstruire à l'identique, on ne les a jamais consentis à Brest".
Il reconnait toutefois qu'à l'urgence de la reconstruction s'ajoutait la pénurie de matériaux. "Heureusement, dit-il, il y avait Maurice Piquemal. L'homme n'était pas toujours facile. Mais il avait le don de se débrouiller pour réussir à obtenir le maximum de la dotation annuelle accordée aux villes sinistrées. Tout ce que les autres villes n'utilisaient pas, il s'arrangeait pour le récupérer".
Certains entrepreneurs, eux aussi, avaient leurs méthodes pour obtenir des bons d'approvisionnement en matériaux. Dans des logements en constructions, ils installaient les poutres. L'administration passait et leur délivrait les bons pour la suite des travaux. Mais dès le départ des contrôleurs, ils démontaient les poutres et allaient les installer ailleurs. Albert Cortellari en rigole encore.

Obtenir des dommages de guerre

Sur le terrain, Jean-Baptiste Mathon a divisé la ville en îlots rectilignes, chacun comprenant la construction de plusieurs immeubles. Albert Cortellari se retrouve ainsi architecte chef d'îlot. C'est à lui que revient le soin, avec chacun des architectes d'immeubles, d'harmoniser la construction de ces grands ensembles: hauteur, façades, balcons, corniches... Et aucune fantaisie n'est tolérée par le duo Mathon-Piquemal. On n'est pas là pour ça. "Mais globalement, constate Albert Cortellari, ces immeubles ont plutôt bien vieilli".
Pendant ce temps, les habitants du Brest disparu se livrent aux démarches pour l'obtention des dommages de guerre. Chacun, avec des documents de propriété, des quittances, des photos, voire même de simples cartes postales doit prouver qu'il possédait bien un logement disparu sous les bombes. La reconnaissance du dommage de guerre sert ainsi à acquérir un nouveau logement, via l'association syndicale (publique) ou la coopérative de reconstruction (privée).
Mais tout le monde n'a pas le temps d'attendre. Certaines personnes âgées choisissent de vendre leur dommage de guerre plutôt que de miser sur un logement qui arrivera peut-être trop tard. Quelques particuliers ont ainsi constitué un joli parc immobilier.

400.000 habitants...

Après la phase de la reconstruction, ce sera celle de l'expansion de Brest. On construit à tour de bras et de nouveaux quartiers sortent de terre. Le cabinet d'Albert Cortellari (qui comptera jusqu'à 24 salariés) fait face à de nombreuses demandes, y compris pour des bâtiments publics. Certaines entreprises, qui avaient démarré avec trois ou quatre ouvriers, dépassent la centaine.
Epoque dorée. Tout poussait si vite qu'on pensait alors qu'avant l'an 2.000, Brest compterait 400.000 habitants. Mais les "trente glorieuses" ont été stoppées nettes.
A 80 ans passés, Albert Cortellari garde la nostalgie de cette époque, même s'il regrette que la ville ait été reconstruite trop vite et trop en marge de son passé. C'est peut-être pour cela qu'il a mis tant de passion (et d'argent) dans le sauvetage du manoir de Kéroual, devenu aujourd'hui propriété de la ville.

René Perez

(1) Le jour des obsèques de Lady Di, Le Télégramme avait consacré un article au destin exceptionnel de Louise de Kéroual et au sauvetage de son manoir brestois.

Copyright © Le Télégramme 16/06/2001

 

 
     

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